Rencontre avec Francis, photographe à Lyon

Cédric
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Aujourd'hui j'ai la chance d'interviewer un photographe de talent installé sur Lyon et qui va nous expliquer son parcours, ses projets et bien évidemment sa vision de la photographie. A découvrir sans plus tarder dans la suite de cet article.


Francis Malapris, photographe à Lyon
Auto-portrait de Francis Malapris, photographe à Lyon
réalisé à Lyon rue Victor Hugo



Francis Malapris, Photographe à Lyon


Merci Francis d'avoir accepté mon invitation. Mes lecteurs ont hâte d'en savoir plus sur votre métier. La parole est à vous :


Quel est votre parcours ? 


J’ai eu une scolarité compliquée, cela m’a pris des années, mais en 1996 j’ai finalement décroché un diplôme d’ingénieur, que j’ai raccroché aussitôt lorsque j’ai découvert la photographie. Au début j’explorais les rues parisiennes, captant des instants à la Cartier-Bresson. Puis je me suis rendu compte que dans le résultat, il y avait quelque chose qui dépassait la simple esthétique. Quelques années plus tard, j’ai découvert que cette expression artistique faisait partie de moi, beaucoup plus que l’écriture, qui est un calvaire pour moi.


Alors j’ai travaillé la technique, puis étudié l’art de la photographie (jusqu’à épuisement des ressources de ma bibliothèque municipale). J’ai fait des rencontres, vécu des séparations, toutes m’ont beaucoup apporté. C’est à cette époque que j’ai découvert une passion pour la photo humaniste.


En 2013, j’ai commencé la série « IN SITU » avec cette femme à la fenêtre, cela m’a permis d’aborder l’évasion mentale, sujet qui me concerne beaucoup. Le plus étonnant c'est que les personnes ont parfois l'air de poser alors que les photos sur prises sur le vif.


IN SITU - Circonstances
IN SITU - Circonstances


En 2015, pendant une étude sur les tatouages, la première image de la série « AQUATIC » est apparue. J’en ai fait des icônes de la féminité, que chacun interprète à sa manière.


AQUATIC #1
AQUATIC #1


Pendant 2 ans j’ai mis au point cette série, c’était l’occasion d’une longue introspection. Les images étaient très difficiles à réaliser, mais cela résonnait en moi, alors j’ai suivi mon intuition. En 2017, AQUATIC a fait l’affiche du festival de la photo de nu à Arles et a remporté des concours internationaux. Depuis ces images ont été exposées dans plusieurs pays comme les Etats-Unis et le Japon.


En 2018 je me suis engagé dans un projet esthétiquement très différent avec le livre : « La personne-intérieur ». J’y aborde la relation d’intimité entre photographe et modèle, qui pourrait ressembler à celle que vous avez nu(e) face à votre médecin.


Couverture du livre
Couverture du livre


Aujourd’hui je multiplie les collaborations et les projets, sur des sujets qui me touchent. Comme « Les endroits où j’aurais pu te rencontrer », 1er livre de la série « Le Beau Petit Carnet », que j’ai adapté en une série de vidéos très courtes.




Depuis 2 ans je travaille aussi la vidéo, et même après avoir réalisé une vingtaine de courts-métrages, je me sens toujours débutant. L’approche est totalement différente de la photo, les images prennent un autre sens avec la temporalité, c’est passionnant.


Comment définiriez-vous votre démarche artistique ?


C’est délicat de définir quelque chose qui s’impose. J’ai beau en faire le tour depuis plusieurs années, je suis toujours étonné par les différentes formes que cela peut prendre. Je dirais qu’au centre, il y a l’identité, question majeure dans notre société. Puis ce qui l’entoure : le rapport aux autres, à l’autorité, à soi-même, etc. Les images sont pour moi le support d’un discours qui doit apparaître de manière indirecte. Alors j’essaie d’inclure une accroche visuelle, esthétique, qui donne envie d’explorer l’installation.


Ce qui est encore plus délicat, c’est de décrire les différents supports que j’utilise. J’ai rarement exposé deux séries sur le même support (tirages papier, verre, plexiglas, dibond, toile, livre, video, jeux, etc.).  Par exemple, la série esthétisante « AQUATIC » est prévue spécifiquement pour de la toile, alors que « IN SITU », qui présente des images réalistes pour déclencher l’imaginaire, est plutôt adaptée pour les grands formats sur papier ou dibond. Cela dépend aussi de l’espace dans lequel j’expose.


En photographie c'est très difficile de faire quelque chose d’original, mais cela me tient à cœur, même lorsque je reprends un principe déjà existant. Par exemple, je travaille en ce moment sur des portraits au néon. Ce n’est pas nouveau, Olivier Roller (que j’ai rencontré) a d’ailleurs fait une superbe série « les figures du pouvoir ». Mais c’est dans la lecture finale et son interprétation que je compte faire quelque chose de différent.


J’aime beaucoup les collaborations avec d’autres artistes. J’ai collaboré à certains projets et performances de Damien Saillardvide noir »), et puis je m’associe également avec des personnes qui savent écrire (ce que j’admire) pour une série de petits livres « Le Beau Petit Carnet ». Le prochain épisode : « lettre à un enfant pas né » parle du désir d’être mère avec la poésie de Ester Greenwood.


Extrait « lettre à un enfant pas né » - Collaboration avec Ester Greenwood

Extrait « lettre à un enfant pas né » - Collaboration avec Ester Greenwood



Où trouvez-vous l’inspiration ? 


J’aborde mes projets de trois manières différentes. 


La recherche : multiplier les essais (avec un taux de rejet énorme), avant de trouver un axe. Ensuite vient le temps de l’analyse et de trouver les mots qui me permettent de structurer le fond (ex : AQUATIC).


Le moment : l’inspiration, la vision et l’instant déclenchent parfois un nouveau projet (ex : IN SITU). L’analyse permet ici aussi de continuer le projet en assurant une cohérence.


La construction : il y a des projets entièrement construits (que l’on retrouve essentiellement dans mes livres) comme « La personne-intérieur », dans lesquels j’ai établi un protocole en amont. C’est par le développement et l’histoire qui se crée que la construction prend du sens.


Lequel de vos projets vous a le plus marqué émotionnellement ?


Certainement AQUATIC, et pour plusieurs « moments ». En amont déjà, les modèles étaient très motivées par l’esthétique de ce projet, j’en étais touché. La prise du vue était très difficile à réaliser, sans compter que je me suis arraché les cheveux lors de la sélection finale, qui devait être prête pour Arles. 


Cette exposition était incroyable, j’avais les 24 mètres du chœur de la chapelle St Anne avec 17 tableaux grand format, AQUATIC #8 faisait l’affiche et on la voyait partout en ville. L’échange avec les visiteurs était vraiment exceptionnel et touchant. Et je ne parle même pas de l’émulation avec les autres artistes, les modèles, les galeries, il y avait une euphorie incroyable à cette époque. Au même moment j’ai reçu des prix pour cette série, et j’ai géré six expositions en parallèle (dont une aux US).


Exposition de la série Aquatic à la Chapelle St Anne, Arles. (vue partielle)

Exposition de la série Aquatic à la Chapelle St Anne, Arles. (vue partielle)



D’après votre portfolio, la nudité n’est pas un tabou ? Comment se passe la collaboration avec vos modèles ?


Disons que dans ma personnalité, la volonté d’authenticité est très forte. Mes images sont originales, très rarement retouchées (même dans AQUATIC), et je tiens à cet aspect vérité car cela se voit. Un simple bout de tissu ramène systématiquement à un contexte socio-culturel, ce qui détourne l’attention du lecteur, donc le distrait du message.


Il y aura toujours une part de sensualité dans un corps nu, mais ce n’est pas ce que je cherche à montrer en premier, le corps reste un support au discours et c’est bien le retour que j’en ai. Pour cela je travaille les codes, les expressions et la lumière.


Je travaille en réelle collaboration, parfois avec des personnes qui n’ont jamais posé, mais j’ai besoin d’un investissement de leur part afin de créer quelque chose d’original. Je ne veux pas de marionnettes. Alors nous prenons le temps de nous connaître un minimum, afin d’établir une confiance. Parfois il y a un côté introspection, car notre corps garde en lui des douleurs qui prennent des formes inattendues. Parfois les modèles pleurent. Chaque moment est unique.

Extrait du livre « La personne-intérieur »

Extrait du livre « La personne-intérieur »


Quels matériels photo utilisez-vous ?


Mon appareil photo évolue avec le temps, actuellement j’ai un Canon M50 que je trouve très pratique car petit et léger. J’ai du matériel de studio semi pro, mais je ne suis pas matérialiste, j’adore bricoler. 


Avec la vidéo j’utilise de plus en plus la lumière continue, j’ai une trentaine de lampes et de filtres chez moi, ça commence à prendre de la place.


Mes shootings sont assez rapides, l’essentiel pour moi se trouve dans la présence et l’investissement du modèle (ce qui dépend aussi de moi). Au niveau technique, à partir du moment où j’ai la bonne lumière, le reste je peux le gérer simplement en postproduction. 


Pouvez-vous nous parler de vos projets en cours ?


En plein confinement, je tourne un peu en rond, alors j’oscille entre plusieurs projets :


Photo : 


  • Un livre « lettre à un enfant pas né » qui associe photographie et poésie en collaboration avec Ester Greenwood (je suis fan de son style). C’est le volume 2 du « Beau Petit Carnet ».
  • Des portraits au néon, que j’espère sortir bientôt, je suis encore dans la phase de production.
  • « C’est pas grave » un projet sur les violences faites aux femmes (je cherche des partenaires pour une exposition interactive).
  • Un workshop à destination de photographes qui désirent explorer leur propre univers, que je proposerai hors-covid.

Vidéo :

  • Performance « Le miroir » : sur le thème de l’image de soi.
  • Des vidéos sous forme de clip ou poésie dans le genre de « Nous ne sommes que bouche »
  • (re-)Montage de « Stérile », un film que je j’avais tourné dans le cadre d’un 48h en 2018 et dont l’histoire me tient à cœur.
  • Idem pour « Dunes » avec des paysages à base de corps.


Nous ne sommes que bouche (Rilke) - Collaboration avec Aurélie Rousselet


A Lyon, quelles expositions, galeries ou autres lieux recommanderiez-vous à des amateurs d’arts photographiques ?


En dehors des galeries de référence à Lyon (Vrais Rêves, Le Réverbère, Poltred, etc.), il y a des initiatives de groupes ou d’associations qui sont très intéressantes. Il y a également des lieux qui se prêtent avec plaisir à l’exercice comme l’espace Paul Ricard où j’ai exposé. Tout cela crée une foule de petites expositions qu’il faut savoir dénicher et ce n’est pas toujours très simple.  Pour cela il y a le livret « Photographies Lyon &Co » (que l’on trouve en galerie), les évènements Facebook, les journaux, etc. Par exemple le collectif ITEM (axé sur le reportage) fait un excellent travail et je vous conseille de ne pas rater leurs expos.


Je trouve que la culture à Lyon est un peu désordonnée, car les financements le sont. Sans parler du contexte, il est très dur de pouvoir s’investir dans un projet sans partenaire. J’espère que l’on aura à nouveau des opportunités et une vision plus claire après le confinement.


3 conseils pour un débutant qui souhaiterait se lancer dans la photo ?


Tout d’abord je dirais de ne pas écouter le vendeur de la Fn*c, ni les conseils des amateurs ou des professionnels, juste d’écouter son instinct. Personnellement, je fais une distinction drastique entre artisan et artiste : le premier a en effet besoin d’un appareil performant, mais pour le deuxième c’est la création qui compte. 


Et ce dont j’ai envie, c’est que chacun puisse tenter la photo sans être bloqué par l’aspect technique (ce qui arrive trop souvent). Beaucoup de gens pensent qu’il faut un outil professionnel pour créer, ce qui est faux. En réalité, c’est même l’inverse qui se produit car cela les rapproche des professionnels (artisans) et non des artistes. On peut tout à fait exposer des photos prises avec un téléphone, ce qui compte avant tout c’est de créer un message homogène et personnel. Il faut lâcher l’aspect technique pour se concentrer sur la vision. C’est ce que j’apprécie dans l’art contemporain, contrairement à l’art classique où la technique était incontournable.


Ensuite, je lui dirais de rater un maximum de photos, car c’est souvent dans celles-ci que l’on trouve des choses inspirantes et uniques, et avec le numérique il n’y a plus d’excuses. Si les résultats lui plaisent, alors je lui dirais (pour l’encourager ?) que les images qu’il réalise ne sont que de pâles copies. En effet, dans beaucoup de cas on s’entête à refaire ce qui a déjà été fait, car l’inconscient garde en mémoire plus de choses qu’il ne veut bien le dire.


Enfin, je lui dirais de lire des images de référence, énormément, jusqu’à ce que la lecture devienne un réflexe pour identifier et qualifier la suggestivité. Cet apprentissage de lecture est très important car il permet également de construire des images.


Comme vous l’aurez compris, je suis autodidacte. Il n’y a que deux livres (sur une centaine) qui m’ont vraiment apporté quelque chose : 


Pour finir, si vous aviez la possibilité de réaliser un projet avec un lyonnais ou une lyonnaise célèbre (vivant ou non), qui choisirez-vous et pourquoi ?


Alors il n’est pas exactement Lyonnais mais il habite dans les environs, il s’agit du photographe et réalisateur Raymond Depardon. C’est un exemple pour moi, par son travail et son parcours. Nos démarches coïncident sur plusieurs points, notamment sur l’aspect social. J’ai eu l’occasion d’échanger avec lui et j’ai beaucoup apprécié les retours qu’il a pu me faire.


Pour le projet, s’il me propose quelque chose, je lui ferai confiance même si c’est délicat. De mon côté, j’aimerais lui proposer un portrait de son couple, avec une recherche de la pierre angulaire qui leur a permis à tous les deux de partager travail et vie conjugale. Il y a eu déjà plusieurs articles à ce sujet dans la presse, mais je tenterais de le présenter sous une forme personnelle, plus authentique sûrement.


Le mot de la fin ?


Nous avons tous quelque chose de particulier, de différent qui nous définit, par rapport aux autres mais également dans notre for intérieur. L’introspection un outil puissant pour construire une symbiose avec notre monde. Tout un univers est là, confiné dans notre esprit et nous pouvons l’explorer à loisir. Ma quête permanente est de construire un lien avec la réalité, car dans ma vision, chaque entité a sa place et contribue à un équilibre.



Voilà, cet interview se termine. J'ai appris pleins de choses sur le monde de la photo et ce fut un véritable plaisir de partager ce moment avec Francis. N'hésitez pas à commenter et partager cet article car son travail mérite vraiment d'être reconnu.


En savoir plus sur son site : http://malapris.com/
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